Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
« mini-satori » et « big satori »

Quand il parlait de l’éveil, maître Deshimaru disait qu’il y a « des mini-satori » et « le big satori ». Par mini-satori, il entendait des expériences sur la Voie assez fortes pour sortir de l’ordinaire et rester dans la mémoire mais pour autant pas décisives quant à la réalisation du grand éveil, au contraire précisément du big satori.
Par exemple, la prise de conscience par le futur Bouddha de l’impermanence de toute vie fut pour lui un mini-satori, de même que celle qu’il était vain d’espérer satisfaire sa quête de l’éveil en allant à l’extrême des mortifications corporelles en fut un autre. Pour ce qui est du big satori, il le réalisera en zazen sous l’arbre de la bodhi en regardant l’étoile du matin. C’est alors, et alors seulement, qu’il devint celui que ses contemporains ont appelé l’Eveillé, le Bouddha.
Pour prendre à présent l’exemple de maître Dôgen, on peut dire que le vœu qu’à l’âge de sept ans il fit de devenir moine en regardant s’élever la fumée du bûcher funéraire lors des obsèques de sa mère fut pour lui un mini-satori, de même que le mondo qu’il eut avec le vieux tenzo quelques jours après son arrivée en Chine. S’agissant du big satori, il le réalisera quelques mois plus tard, au cours d’un zazen, dans le zendô du temple de Nyôjô.
La grande différence entre les mini-satori et le big satori, c’est que celui-ci se caractérise par « un total dépouillement du corps et de l’esprit », comme le montre clairement le récit qui fut fait de l’éveil de Dôgen par Keizan ( cf article du mois précédent ), alors que ce n’est pas le cas dans les mini-satori. Par ce total dépouillement du corps et de l’esprit, l’illusion d’un moi/je substantiel et séparé tombe naturellement puisque, comme l’a enseigné le Bouddha, c’est l’identification au corps et à l’esprit qui est la racine de l’illusion égotique. Cette identification tombant, tombent avec elle la conscience duelle sujet/objet, moi/la nature, moi/autrui, ainsi que toutes les illusions dont ces dualités sont à l’origine. Quand le Bouddha s’éveille, il s’éveille, comme il le dit, « avec toutes les existences », confirmant par ces seuls mots que l’illusion de la séparation liée à la conscience duelle n’est plus opérante chez lui. Ce n’est pas le moi/je de Gautama qui s’éveille, c’est l’abolition de l’illusion qu’un tel moi/je existe qui libère la place à ce que Dôgen appelle « la force de l’Eveil ».
Les mini-satori peuvent certes contribuer à cette abolition en mettant résolument sur la Voie et en impulsant une grande détermination à l’approfondir mais, en dernière instance, ce n’est pas eux qui peuvent la produire mais « la force de l’éveil » : l’éveil seul éveille l’éveil car « yui butsu yo butsu » : « seul bouddha connaît bouddha », seul l’absolu connaît l’absolu. Tel est « le big satori », exact équivalent de ce que le Zen japonais désigne par le terme kensho.

Gérard Chinrei Pilet

(Avril 2025)




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