Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
Le Bouddha-Dharma

« Du matin de son éveil au soir du parinirvana, Bouddha s’exprima librement sans avoir recours à un seul mot », dit maître Dôgen dans le chapitre Yui butsu yo butsu du Shôbôgenzô.
Cette expression dont maître Dôgen n’a pas l’exclusivité, signifie que le Dharma enseigné par le Bouddha Shakyamuni n’est pas une doctrine personnelle dont il serait l’auteur, et qui témoignerait de sa conception du monde, de l’univers et de l’homme. Il n’est pas, pour reprendre les mots de maître Deshimaru, un « isme », un système élaboré par la conscience individuelle d’un moi/je appelé Shakyamuni. Il n’est pas le produit d’une vision subjective comme peuvent l’être les théories philosophiques ou les visions du monde qui apparaissent à telle ou telle époque de l’histoire, telles que le matérialisme, le spiritualisme, l’existentialisme, etc. Le Dharma n’a pas d’auteur, si ce n’est l’ordre cosmique. Si le Dharma enseigné par le Bouddha, est l’authentique reflet de l’ordre cosmique, c’est parce que le Bouddha l’exprima après son éveil, quand sa « vision » fut purifiée par l’éveil et, de ce fait, « n’altérait pas le visage originel ». Elle le manifestait en toute transparence.
C’est pourquoi le Bouddha, en tant qu’individualité, « n’a jamais dit le moindre mot ». Son enseignement se situe à un niveau transpersonnel. Il appartient au pratiquant de permettre, par la pratique et l’abandon du moi/je qu’elle rend possible, « la combustion totale » dont parle le Sutra du Lotus et que maître Dôgen cite dans ce même chapitre : « puisque seul un Bouddha peut comprendre le Bouddha-Dharma, il a été dit : yui bustu yo butsu ; seul Bouddha connait Bouddha, combustion totale. » Cette combustion totale se réalisant lorsque le moi individuel se fond dans l’univers entier.
C’est la fin de l’illusion de la séparation et avec elle l’accès à la connaissance véritable. Pour Dôgen comme pour le Bouddha et les maîtres de la transmission, connaître c’est être ce que l’on connait. C’est toute la différence avec la connaissance ordinaire issue du mental dans laquelle le sujet connaissant reste extérieur à l’objet connu. On peut par exemple disserter sur la liberté intérieure sans que celle-ci nous habite vraiment. Rien de tel avec la connaissance propre à la Voie dans laquelle le sujet connaissant ne fait qu’un avec l’objet de sa connaissance. C’est yui butsu yo butsu : seul Bouddha connait Bouddha.
C’est ce point crucial qu’illustre maître Dôgen, à la fin de ce chapitre, par les métaphores de l’oiseau et du poisson : « Qui n’est pas poisson ne connait pas le cœur des poissons. Qui n’est pas oiseau ne trouve pas la trace des oiseaux ». Fondamentalement, Bouddha et Dharma ne font qu’un.

Gérard Chinrei Pilet

(Octobre 2025)




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