Association Kan Jizai

"Etudier la Voie, c'est s'étudier soi-même
S'étudier soi-même, c'est s'oublier soi-même
S'oublier soi-même, c'est être en unité avec toutes les existences"
Maître Dôgen
 


 
S’aider des critiques et des paroles malveillantes pour approfondir la Voie

Il y a deux manières de recevoir les critiques : y réagir égotiquement (c’est, et de loin, le cas le plus fréquent) ou en faire une opportunité pour aller au-delà de l’ego.
Les maîtres et patriarches, depuis le Bouddha, n’ont jamais manqué d’exhorter leurs disciples à cultiver cette seconde approche : « comme un éléphant sur le champ de bataille résiste aux flèches tirées de l’arc, ainsi endurerai-je injures et critiques », dit le Bouddha ; « accepte les critiques et soumets-toi aux calomnies des autres…Lorsque tu les écoutes, c’est comme si tu buvais un doux nectar. Ce nectar se dissout instantanément et entre dans le mystère », renchérit Yoka Daishi dans son Chant de l’Eveil ( Shodoka ). Commentant ce verset, maître Deshimaru dit : « si les gens vous critiquent, il n’est pas nécessaire de vous mettre en colère… la critique des autres peut aussi être une aide. En ce sens, ce verset dit qu’elle est comme un doux nectar qui se dissout instantanément et entre dans le mystère, ce qui signifie que l’ego pénètre la vérité cosmique et que la vérité cosmique pénètre l’ego ». Ces derniers mots de son commentaire vont à l’essentiel : si nous savons les recevoir en pratiquants de la Voie, les critiques sont une aide infiniment puissante pour aller au-delà de l’ego. Pour en comprendre la raison, il faut partir du constat que les critiques sont ressenties par l’ego comme un dommage qu’il s’empresse quasi mécaniquement de réparer en y répondant par des justifications, des attitudes défensives, des attaques verbales contre leur auteur, voire des déclarations de mauvaise foi ou des mensonges. S’y ajoutent fréquemment des réactions de colère qui, en cristallisant l’ego et le grossissant, sont à même de lui valoir une compensation réparatrice à ce qu’il perçoit comme une atteinte à son image.
Ce que la Voie attend de nous, c’est que nous allions au-delà de cette façon égotique et quasi mécanique de recevoir les critiques. Pour ce faire, il est nécessaire, au moment où la critique ou l’injure sont reçues, d’accepter que l’ego soit diminué et de ne rien faire pour y remédier. En somme, il s’agit de lâcher l’ego en acceptant qu’il perde la face. Cette stratégie de demeurer intérieurement et extérieurement immobile face aux critiques, reproches ou injures permet qu’en quelques secondes à peine émerge en nous un sentiment de vastitude intérieure signant un retour de la conscience à sa nature originelle infinie et inconditionnée que, dans son commentaire, maître Deshimaru décrit en disant que « l’ego pénètre alors la vérité cosmique et que la vérité cosmique pénètre l’ego ». C’est ainsi que, reçues en total détachement, critiques et calomnies deviennent, pour reprendre les mots de Yoka Daishi, « un doux nectar ». Par ce processus, la conscience égotique, chien de garde de l’ego, est dissoute instantanément et « entre dans le mystère », c’est-à-dire se fond dans la conscience originelle. Un mystère en effet puisqu’on ne peut pas s’en saisir par la pensée mais seulement par l’au-delà de celle-ci.
Ainsi donc, l’ego, qui n’aime rien tant que d’adresser des critiques, peut être vaincu par qui sait les recevoir avec équanimité et détachement. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’avec lui se produise une inversion des valeurs et le cas des critiques reçues en est un exemple : ce que l’ego prend pour de la faiblesse (ne pas répondre aux critiques, injures ou paroles blessantes) est en réalité la seule véritable force, celle qui vient du lien rétabli avec sa véritable nature.
Il va sans dire que cette alchimie spirituelle, actualisée dans le détachement à l’égard des critiques et enseignée par toutes les Voies spirituelles dignes de ce nom (qu’on pense au célèbre « si l’on vous frappe sur la joue gauche, tendez la joue droite » de Jésus), est totalement étrangère à la mentalité profane moderne pour laquelle seule compte l’affirmation de l’ego portée à son paroxysme.

Gérard Chinrei Pilet (Décembre 2021)




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